L'illustration
La couverture de ce livre a toujours fait mes délices. La graphiste de Flammarion avait eu l'idée merveilleuse de prendre un détail de ce tableau de Vuillard. Tout est là qui parle d'éveil, de joie, d'action : la houle des arbres semble avancer vers l'enfant qui lui tend les bras. Celui-ci joue comme dans une chambre de rêve, ouverte sur un monde illimité, sans autre préoccupation que d'attraper son ballon et d'exister dans l'instant présent.
Trois couleurs seulement pour évoquer les temps forts de ce moment de pur bonheur : le vert de l'espoir, le rouge de la vitalité, le beige pâle du sable au sol presque blanc, espace de l'innocence. Et ce ballon qui roule vers le fond de la pelouse, symbole du temps qui nous échappe. Il n'y a pas de ciel, pas de maison, l'enfant vit une idylle avec son jeune corps enveloppé de nature.
L'élaboration
La période des interviews prévues a été une époque bénie, emplie de rencontres et de moments très forts. Fonctionnant selon une méthode intuitive et non en sociologue que je ne suis pas, j'ai avancé au coup par coup. Je m'étais préparé un questionnaire à trois vitesses, un long très détaillé pour les adultes, un plus concis pour les personnes qui ne disposaient pas de beaucoup de temps, et un autre pour les enfants jusqu'à dix onze ans. A partir de là, j'ai commencé à interroger les « sujets » que j'avais contactés auparavant. Mon « panel » allait de personnes de cinq ans à quatre-vingt douze ans. Je m'étais attachée à les chercher issus de milieux et d'horizons différents.
Ce qu'il y a eu de plus touchant dans cette aventure de Voyage en Enfance c'est la confiance que toutes ces personnes m'ont témoignée ainsi que la densité des moments passés avec elles. N'ayant aucun système d'interprétation accolé à mon travail de recherche in vivo je me laissais porter par la vague émotionnelle des interviewé(e)s aussi bien que par leur manière de retrouver leur propre enfance et de l'exprimer.
Je me souviens encore plus de vingt ans après, de chacune des interviews dont certaines se sont échelonnées sur une vingtaine d'heures. Quel régal, vraiment ! Par les questions et les réponses, on créait une petite cellule de mémoire tantôt dans le jaillissement du souvenir, tantôt dans la démarche plus tâtonnante de la redécouverte du passé.
Le thème
L'enfance est un sujet qui ressemble à un jet d'eau, immensément présent dans l'instant avec ses milliers de gouttelettes irisées mais qu'il est impossible d'attraper, de saisir, de garder dans sa main. Et nantie d'une quantité d'informations, évocations, d'images merveilleuses, de réalités intimes, troublantes, prêtes à surgir, je me suis trouvée devant ce mur frémissant de vies passées. Il fallait alors trouver un axe de présentation qui me permettre d'agencer le livre sans préalable annoncé, sociologique ou théorique. Je m'étais dès le début lancée dans l'aventure en projetant un livre qui serait en somme une promenade à travers les innombrables chemins de l'enfance. Quel fil rouge trouver pour parcourir ce gigantesque paysage propre à tous les pays, à toutes les races, à tous les temps ? Je voulais un propos libre, ouvert à toutes sortes de réalités mais l'approche du thème devait être cohérente et le déploiement des rubriques dynamique.
Je parlais des diverses options que j'avais envisagées avec Françoise Verny, et soudain, elle me dit, n'ignorant pas que je n'appréciais pas le genre autobiographique, « Pourquoi tu ne parlerais pas de la tienne ? »
Il arrive qu'une petite phrase déclenche le lâcher de ce qui, en soi, bloque l'inspiration. Celle-ci fit son chemin en moi et me libéra de mes hésitations, et sans doute de la peur de traiter un tel sujet, si fondamental et en même si subtil.
La rédaction
A partir du moment où j'ai abordé ma propre enfance tout s'est organisé dans ma tête, l'alternance des interviews, des petits chapitres intercalaires de réflexion, les extraits de romans ou de journaux évoquant le thème. Avec mes poésies, mes romans, je naviguais à partir de l'imaginaire pur, dans la fiction. En bâtissant la structure de mon livre, en la nourrissant d'un texte circonstancié, dans le but de transmettre un contenu basé sur l'expérience directe, je découvrais le charme d'un travail qui nécessitait d'autres instruments que ceux de la fiction.
Conçu comme une symphonie, Voyage en Enfance est un chant de voix enfantines, adolescentes et adultes « au présent », que consolide une recherche de témoignages plus littéraires et de souvenirs personnels, par petites touches qui font rebondir le sujet.
La conclusion
C'est un ouvrage que les Editions Flammarion ont présenté aux libraires dans la rubrique Essai, mais ceux-ci n'ont pas trop su où le ranger sur leur étagères : ce n'était pas un ouvrage de psychologie mais on y abordait la psychologie par le vécu. Il ne constituait en aucun cas un exposé sociologique mais il parlait d'un concept qui englobait le phénomène social, O combien !
Le titre, Voyage en Enfance, cerne le thème et le style de cet essai poétique, appelons-le ainsi, mais c'est Françoise Verny qui a proposé le sous titre, Des adultes se souviennent, des enfants racontent. Ce qui est exactement le cas et offre une double perspective à ce temps que nous perdons à jamais mais qui nous structure et nous alimente cependant pour toujours.