Le seul roman pour lequel j'ai emprunté tel quel un décor familial, celui de mes vacances dans une grande maison au milieu de trente hectares de bois châtaigniers, chênes centenaires et d'immenses pins parasols. Au sud, dévalait un terrain très pentu recouvert de fougères au-delà desquelles le ciel prenait, juste avant la tombée du jour, les teintes subtiles propres à la Charente. " Nulle part ailleurs, vous ne trouverez de tels bleus ! " affirmait mon grand-père.
C'est ce grand érudit, latiniste, graphologue, directeur et propriétaire des Editions Stock, qui m'a inspiré le personnage du grand-père de l'héroïne. Élevée uniquement par cet homme âgé, sa mère étant morte à sa naissance et son père demeuré inconnu, elle grandit dans ce cadre où plane une impression de mystère. Accompagnée dans ses longues balades à travers bois et champs des alentours par un grand chien noir nommé Personnage, un Cane Corso.
Dans Sortilèges ce molosse italien, issu dans mon esprit de l'univers des contes, possède un don de divination. C'est lui dont l'énigmatique présence règne sur le roman, qui, face aux humains pris dans un violent drame de rivalité amoureuse, clôturera leur histoire.
En effet, dans la vie de la jeune fille surviendra un militaire arriviste et brutal qu'elle épousera et qu'elle se mettra par la suite à haïr, cherchant auprès de son ami Paul Musicien, un réconfort plus délicat. De son côté le grand-père dissimule de bien curieuses choses sur sa vie passée. Das ist nicht klar ! disent les allemands, ce n'est pas clair.
La réception à ce roman qui tourne en dérision la société bien pensante d'un milieu de notables a été glaciale. Juste un bel article de Jean-Rémi Barland dans le journal La Provence mais beaucoup de réticences même dans mon entourage. La relation suggérée entre un grand-père et sa petite-fille ? L'amoralité d'une femme qui utilise un chien à des fins douteuses ? Le portrait grinçant du mari ridiculisé puis rejeté par sa jeune épouse qui refuse obstinément d'avoir des enfants ? Sujets brûlants mais non inintéressants !
Les livres ont bien souvent une histoire, parallèle à celle de leurs auteurs. Celle de Sortilèges n'a rien à voir avec celle d'Au-dessous du volcan, de Malcolm Lowry, qui connut douze versions avant son achèvement à cause d'un naufrage et autres incidents de ce genre cependant le manuscrit a subi plusieurs moutures. Suis-je allée jusqu'au bout de ce qu'il devait être ? Chaque roman, ce bel inconnu.
...Le soir, en rentrant, il criait dans le vestibule. Il fallait que Rosalie vienne le débarrasser de son manteau, de son cartable, de son képi s'il en portait un ce jour-là.
...suite
Voyage en enfance