En écho, mieux informées et certainement plus réalistes, à mon évocation d'Abidjan dans mes romans La Dame noire et Exercice d'amour, voici des chroniques qui nous offrent "à partir de faits réels et d'évènement vécus", l'occasion de nous immerger dans la vie de cette capitale trépidante où j'ai habité plusieurs années et que j'ai quittée sans jamais pouvoir l'oublier.
Albert Taïeb, à sa manière distanciée, sans pathos, évoque des histoires très dures générées par les exigences du droit coutumier, par des défaillances de fonctionnement liées aux croyances ou aux préjugés.
C'est avec une tendresse évidente pour les couches de la population, soumises à l'injustice, à la misère, à l'ignorance, qu'il considère l'existence qu'elles doivent affronter. Pourvue en expériences déchirantes parfois pour les individus qui la subissent, même si l'africanité que décrit Albert Taïeb inclut dans ses traits de caractère un certain fatalisme.
Des multiples thèmes abordés dans ces Chroniques empreintes de bienveillance on retiendra, ce qui n'étonnera personne car ils ne sont pas exclusifs à Abidjan ni à l'Afrique, la corruption de la police, les lenteurs ou les opacités des administrations et le triomphe de la combine, parce que mis en scène avec beaucoup de verve, émaillés de détails piquants, enrichis de dialogues fournis en informations. La magie, sujet toujours fascinant parce qu'aux frontières du réel, inspire à l'auteur, un chapitre troublant sur la prégnance qu'exercent les masques sur la population. Les liens du sang ou de l'amitié occupent aussi une place importante dans ce petit livre alerte où Albert Taïeb tente de donner une image la plus fidèle possible de la réalité mouvante de la société en Côte d'Ivoire.
Deux chapitres s'envolent hors de ce panorama des usages et des pratiques plus ou moins vertueuses des abidjanais pour pénétrer très profondément dans le tissu africain. Et accèdent ainsi à l'universalité.
En deux pages limpides, raccourci poignant de la vie humaine, un repas de midi fixe l'image du pèlerin éternel. Et dans Une vie de silence, cinq pages d'une égale limpidité opèrent une plongée vertigineuse dans ce qu'il conviendrait d'appeler la psychose du monde, tel qu'il se présente à certains destins.
Chroniques abidjanes. Albert Taïeb
Editions de L'Harmattan
(Paru en 1995, réédité 2007 aux Editions Sépia)