Plus je vieillis
plus je me sens prête à vivre
Cet ouvrage consacré à l'apprentissage de la vieillesse, en quelque sorte, est à la fois un modèle de limpidité et une ode à la bienveillance. Envers les autres, envers soi, envers cette expérience si banale mais toujours nouvelle pour qui la vit, de l'exclusion par l'âge de toute une frange de la population humaine : à savoir les personnes âgées.
Un livre émouvant : en des pages étroitement immergées dans l'humain et le sensible du monde, il met en relief la situation précaire de ces contemporains solitaires que sont "Les Vieux", ou "Les Vieilles".
Courageux aussi, par sa dénonciation sans pathos ni pruderie des diverses faillites du grand âge et en retour, de la défaillance de la société vis à vis de cet état de dégradation de l'organisme et de ses capacités.
En pointant non sans drôlerie et parfois d'une plume acerbe, une certaine maltraitance rampante ainsi que des opérations mercantiles dépourvues de toute considération véritable envers la personne diminuée, l'essai s'engage résolument dans une critique vigoureuse des us et coutumes pratiqués à l'usage des " seniors ". Terme soi-disant plus respectueux fabriqué pour masquer une réalité qui dérange, effraye, voire dégoûte.
L'essai de Christine Jordis, auteur de romans et de très stimulants essais, en particulier sur la littérature anglaise, traite ce thème casse-gueule de la vieillesse dans un cheminement méthodique, généreusement pourvu en descriptions hautes en couleur et en informations révélatrices.
Constitué de chapitres bien répertoriés, dont certains offrent des passages désopilants malgré la gravité du sujet, il pose très vite le postulat d'une vieillesse et d'une souffrance inhérente entachées de honte. D'un état de vulnérabilité amplifié par l'obsession du jeunisme de notre époque et orchestré par la démarche quasiment offensive d'un commerce qui propose un programme de solutions coûteuses.
Or, il n'y pas de solution miracle à la vieillesse, condition de toute vie sur Terre ; du ver à l'être humain en passant par l'orchidée si belle, tout se flétrit, vieillit et disparait. On conçoit que l'humain en question, pourvu d'une conscience aigu de son sort cherche à esquiver la chose ou du moins s'acharne à en atténuer les preuves visibles. De là à stigmatiser une population qui subit ce processus normal... Non !
Prise en étau entre une sorte de honte de l'être abimé, "défleuri" que nous sommes devenu, conduit à un comportement furtif ou à une surenchère de tentatives pour ravauder un organisme usé et ce corps moins performant, la Vieillesse a pourtant le droit et la possibilité de s'échapper de sa propre déconsidération d'elle-même.
Christine Jordis, dans cet essai si proche de nos plus intimes frayeurs et fragilités, diffuse luminosité, tendresse et lucidité. Elle s'en remet, pour lutter contre les méfaits de cette vieillesse qui nous accable, aux vertus de l'intelligence, au pouvoir de la volonté, seuls remèdes contre la tristesse, l'amertume, la sensation d'être laissé(e) pour compte. Contre la panique où nous plonge le déclin de notre être dans sa vie organique et la disgrâce de son apparition charnelle.
Il s'agit, on le ressent fortement dans les derniers chapitres, d'une initiation. D'autres temps, d'autres cultures, permettaient aux individus de franchir le cap de l'âge en cultivant des qualités personnelles plus conséquentes que le charme ou la beauté physique ; plus persuasives que le "glamour" ou l'endurance sportive.
Comment ? En adoptant et en vivant selon des valeurs plus profondes, plus subtiles ; en rejetant l'inféodation à la poigne sociale qui répertorie, étiquette et désigne le statut d'une personne selon son nombre d'années affichées à l'état-civil.
L'essai ainsi structuré avec rigueur et le propos tenu avec conviction ouvrent d'intéressantes perspectives sur une oeuvre à créer : notre propre vieillesse. La quête d'une noblesse du caractère qui n'appartiendra qu'à nous. Qui se gagne et se façonne contre vents et marées de la vie.
Il faut lire sans précipitation ni scepticisme hâtif ces pages méditatives d'Automnes que Christine Jordis fait baigner dans la sérénité d'une conscience volontariste ; dans l'évocation de ces heures d'une expérience riche en sensibilité et en travaux de recherche qui ont accompagné l'écriture de cet essai.
L'enjeu n'était pas moindre d'affronter un tel sujet ! Etayant judicieusement le cheminement de sa réflexion par des référence à des auteurs puissants comme William Blake, Cowper Powys, Proust, Hermann Hesse, ou plus contemporains, tel Edgard Morin ou Simone de Beauvoir et Benoîte Goult, ces deux féministes militantes sans concession, l'auteur d'Automnes nous conduit d'une plume vigoureuse à la clef de voûte de sa pensée : la spiritualité comme gouvernail et réconfort. Mais une spiritualité inventive, fluide, liée à une vision progressiste du monde et non pas dogmatique.
L'âme et l'esprit, devant l'excès d'appétit de jouissance et de consumérisme, reprennent leur place sous la plume de Christine Jordis. Alors, en des pages confidentes de pur ressenti ou d'une méditation clarifiante, s'estompe le spectre de la vieillesse et de la mort et s'entr'ouvre la porte fragile mais immense d'une dignité humaine pleine de ressources ; d'une possible nouvelle découverte des autres, du monde et de soi .
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